L’utilisation de l’« article 107 » du Code canadien du travail (le Code) a été soulevée et contestée dans plusieurs conflits de travail récents. Cet article figure dans le Code depuis des décennies, alors pourquoi est-il devenu un sujet de controverse cette année ?
Les principes en jeu
Commençons par les principes fondamentaux : le droit à la négociation collective n’a de valeur que s’il s’accompagne du droit de refuser un mauvais accord. Si quelqu’un vous propose un prix pour vos services et sait que vous ne pouvez pas quitter la table des négociations, votre pouvoir de négociation n’est pas un pouvoir réel.
Par conséquent, toute limitation du droit de grève (ou de toute autre action syndicale) a le même effet néfaste sur la négociation collective. Le gouvernement a ses raisons de se réserver la possibilité de restreindre le droit de grève, mais ces raisons sont contestées par le mouvement syndical et doivent continuer de l’être.
Article 107
Le Code contient une clause qui habilite le ministre de l’Emploi à enfreindre le droit de grève « afin de maintenir ou d’assurer la paix industrielle […] s’il le juge nécessaire ». Cette clause existe indépendamment de la possibilité de présenter au Parlement une loi de retour au travail. Elle a rarement été utilisée pendant longtemps. Puis, le gouvernement libéral a commencé à y recourir davantage en 2024, d’abord avec les travailleurs portuaires, puis avec les cheminots.
Le Conseil canadien des relations industrielles a rendu une décision qu’il était hors le jurisdiction du Conseil de le contourner, changeant ainsi complètement la donne pour les travailleurs du secteur réglementé par le gouvernement fédéral. Cela a enhardi les employeurs et le ministre de l’Emploi a commencé à y recourir régulièrement par opportunisme lorsqu’il était confronté à des pressions (principalement de la part des employeurs) concernant les inconvénients liés aux actions syndicales.
Lorsqu’ils le font, ils savent pertinemment qu’ils portent atteinte à nos droits, car ils accordent la priorité à d’autres intérêts (généralement l’économie). C’est donc à nous de nous battre pour nos droits, ou d’accepter de les perdre.
Les agents de bord
Cette année, le ministre de l’Emploi a invoqué l’article 107 pour ordonner aux agents de bord d’Air Canada représentés par le SCFP de reprendre le travail pendant que le Parlement n’était pas en session.
Les agents de bord et le SCFP ont jugé cette décision injuste et s’y sont opposés. Ils ont poursuivi les négociations et sont parvenus à un accord provisoire après avoir exercé leur pouvoir de cette manière. C’est le genre de victoire qui ouvre davantage la voie à la résistance.
Les syndicats ont également contesté les ordonnances rendues en vertu de l’article 107 devant les tribunaux :
Les Teamsters ont demandé un réexamen judiciaire de l’utilisation de l’article 107 par le ministre à l’encontre des cheminots en lock-out en 2024. La section d’Air Canada du SCFP a déposé une contestation fondée sur la Charte exigeant l’abrogation de l’article 107. Le STTP a également déposé une contestation fondée sur la Charte, et le Congrès du travail du Canada a tiré l’alarme l’année dernière après que cet article ait été utilisé à l’encontre des postiers, pour la quatrième fois rien qu’en 2024.
Le NPD fédéral s’est joint à l’opposition cette année. Si l’on parvient à mettre fin à l’abus de l’article 107, les violations du droit de grève feront à nouveau l’objet d’un débat parlementaire. Nous exigeons le droit à des négociations collectives libres et équitables, et nos représentants démocratiquement élus devraient certainement avoir leur mot à dire lorsque ces droits sont susceptibles d’être violés.
Comment cela pourrait-il affecter les membres de l’UCTE ?
Beaucoup de nos membres sont soumis à la partie I du Code, mais aucun d’entre eux n’a été directement touché par une ordonnance en vertu de l’article 107, du moins pour l’instant. Cela ne s’applique pas aux membres du Conseil du Trésor, actuellement en négociation, car leurs négociations collectives sont régies par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique fédérale.
Néanmoins, le Parlement peut ordonner aux fonctionnaires fédéraux de reprendre le travail. La dernière fois que cela s’est produit pour les membres de l’AFPC, c’était en 1999.
Nos membres dans les aéroports, les ports et les administrations de pilotage travaillent dans des lieux de travail réglementés par le gouvernement fédéral. Les travailleurs portuaires de la Colombie-Britannique et de Montréal ont été contraints à un arbitrage exécutoire en vertu de l’article 107 en novembre dernier. Le gouvernement avait alors invoqué l’impact économique de la fermeture des ports. Le danger est que nos employeurs puissent également comprendre que, qu’ils négocient ou non de bonne foi, le gouvernement pourrait les soutenir en cas de grève ou de lock-out.
Mais cette question concerne également tous les travailleurs. Les travailleurs des secteurs public et privé se sont battus avec acharnement dans le passé pour obtenir le droit de grève. Les syndicalistes d’aujourd’hui doivent continuer à le défendre .
Contournement du processus démocratique
Lorsque l’article 1071 a été utilisé pour renvoyer les postiers au travail à la fin de 2024, le ministre l’a utilisé conjointement avec l’article 108 pour mettre en place une commission d’enquête industrielle. La série d’événements qui a suivi inquiète fortement les syndicats :
le mandat de la commission n’était pas de réformer le service postal, mais d’examiner les perspectives d’une convention collective négociée. Cependant, il comprenait la possibilité d’examiner la viabilité de l’entreprise.
Le rapport de la commission a formulé des recommandations visant à maintenir la viabilité financière du service.
Le gouvernement a maintenant l’intention de mettre en œuvre ces recommandations. L’article 107 a déclenché une dérive antidémocratique par rapport à la libre négociation collective.
Le gouvernement a maintenant l’intention de mettre en œuvre ces recommandations. L’article 107 a déclenché une dérive antidémocratique par rapport à la libre négociation collective, qui marginalise les travailleurs afin d’imposer des réductions arbitraires des services, des menaces et de l’incertitude. L’abus de l’article 107 sape les droits de négociation à un niveau fondamental. Les accords récents conclus au STTP ont été négociés dans le contexte de ces suppressions d’emplois.
Il s’agit désormais d’une question de pouvoir : les syndicats parviendront-ils à défier et à faire annuler l’article 107, ou le gouvernement continuera-t-il à se sentir justifié de l’utiliser, au profit des employeurs ?


